Offrande chorégraphique pour une mosaïque romaine
Résumé : Triclinium est une exploration chorégraphique et musicale des trois vies successives d’une splendide mosaïque romaine, le « Mariage d’Admète » : tout d’abord, (1) la vie triviale du sol d’une salle à manger (le triclinium antique) ; puis (2)une très longue vie secrète, enfouie sous la terre pendant quelques mille-sept-cents années ; et (3), désormais, une vie sacrée d’objet muséal, œuvre d’art et précieux vestige. La chorégraphie s’apparente à un rite de bienvenue adressé à cette mosaïque. Humilité, étonnement, timidité, joie et rêve de réconciliation : l’œuvre célèbre un retour à la lumière, sur le sol de l’humanité vivante.
Triclinium, le nouveau spectacle du Ballet Cadagiani pour la saison 2022/2023, est une œuvre musicale et chorégraphique librement inspirée par une superbe mosaïque antique romaine. Celle-ci a été découverte en 1883, à l’occasion de la construction des halles de la Ville de Nîmes, dans les restes de la salle de réception d’une domus de l’antique Nemausus. Le terme triclinium, dérivé du grec κλινη (Klinê) ou « lit de table », désignait en effet généralement chez les Romains la salle de réception ou salle à manger d’une domus, comportant une table et des lits de banquets.

Le Mariage d’Admète : Mosaïque datant de la deuxième moitié du IIe siècle (détail : panneau central)
Aujourd’hui exposée au musée des Beaux-Arts de la Ville de Nîmes, cette luxueuse mosaïque est dénommée « Le Mariage d’Admète » pour ce qu’en son centre est représenté un épisode mythologique survenu en Thessalie : l’arrivée fracassante d’Admète, roi de Phères, à la cour de Pélias, roi de Iolcos. Ce dernier avait juré de ne marier sa fille Alceste qu’avec un homme capable de lui amener un char attelé d’un lion et d’un sanglier. Grâce à l’aide d’Apollon, Admète réussit ce prodige et peut épouser Alceste.
Parcourir un territoire sacré
Triclinium est le produit d’une longue fréquentation de la mosaïque par le chorégraphe. Dans une patiente et active contemplation, s’interdisant de prime abord toute intention chorégraphique précise, il en a étudié le détail et la dynamique architecturale pour accueillir l’objet dans sa matérialité brute, en mettant de côté érudition ou souvenirs scolaires. Aussi ne s’agit-il en aucune manière pour Triclinium d’une reconstitution historique.
Triclinium parcourt, avec humilité et prudence, un territoire doublement sacré : d’une part, bien sûr, par la présence d’Apollon, et d’autre part, par l’antiquité de la mosaïque et son nouveau statut d’objet muséal, c’est-а-dire d’objet tabou. Un tabou que vient lever la danse, cet art dont les origines païennes résonnent si heureusement avec le monde antique.
Une danse de bienvenue pour un retour à la lumière
La mosaïque est décorée de figures géométriques raffinées qui semblent prêtes à poursuivre leur croissance à l’infini. Sur ce vaste et riche plan horizontal, Triclinium construit une verticalité poétique. La danse ouvre un espace où percevoir comme l’écho archaïque d’une humanité en lutte contre l’occultation, l’enfouissement. Elle s’affronte ainsi à la gravité, c’est-à-dire, à la fois, la plus grande amie et la plus grande ennemie du danseur.
À la création de Triclinium, c’est sur la mosaïque elle- même que les danseurs évoluaient. Ne pouvant évidemment pas être déplacée en tournée, c’est sa reproduction photographique à l’échelle (9 x 6 m), qui est désormais utilisée par le Ballet Cadagiani dans son spectacle.